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16 septembre 2006 6 16 /09 /septembre /2006 20:35
Le retour des beaux jours  (Thou-fou)

Dans cet immense palais, dont les pavillons percent l’azur du ciel,

Dont les colonnes étincelantes sont entourées de dragons d'or,

Derrière les stores qui se soulèvent, de belles jeunes filles, fêtant le beau soleil,

Font parler sous leurs mains délicates l’harmonie des cordes et des pierres sonores2.

 

 

L’air qu’elles jouent, le souffle du printemps le porte aux oreilles du prince,

Cet air, c’est celui de la chanson Hâtons-nous de jouir 3.

On sort, on s’embarque sur le grand lac, pour aller visiter ses îles verdoyantes4 ;

L’eau monte et jaillit à la proue des barques rapides, couvertes de tentes aux brillantes couleurs.

Trois mille jeunes filles, d’une beauté parfaite, offrent le tribut de leurs jeux et de leurs rires5,

Elles frappent des cloches ; elles battent le tambour ;

Elles font un bruit à croire que le palais s’écroule.

Le peuple aussi se réjouit au-dehors ; il danse, il chante l’hymne de la paix.

 

       

Le maître contemple son ouvrage :

Le calme et le bonheur de tous6 

 

Les trente-six empereurs immortels viennent au-devant de lui pour l’inviter à les rejoindre7.

Ils voltigent çà et là dans l'air, en abaissant leurs chars de nuées.

Mais l’empereur ne nous abandonne pas,

Il ne quitte point son heureuse capitale8.

Voudrait-il, comme Hoang-ti,

Partir sans nous pour les demeures célestes9 !

Moi, son humble sujet, je lui crie : Vivez aussi longtemps que le (mont) Nan-chan !

Et vive à jamais la renommée de votre grand nom !

Partir sans nous pour les demeures célestes9 !

Moi, son humble sujet, je lui crie : Vivez aussi longtemps que le (mont) Nan-chan !

Et vive à jamais la renommée de votre grand nom !

                                                                          

 

                                                             

 (J'espère que vous avez bien noté le contraste entre la beauté des  vers et la tristesse des illustrations , c'est fait pour ! Hi hi hi ! )

      

             

1. Cette pièce fut composée par Li-taï-pé durant la première période du règne de l’empereur Ming-hoang-ti, appelé aussi Hiouan-tsoung. Ce règne, si paisible au début, fut traversé plus tard par de terribles événements dont les poésies de Thou-fou nous offriront plus loin la peinture.

2. Indépendamment des instruments à cordes et à vent, les Chinois font usage, depuis l’Antiquité, d’instruments de musique composés de pierres sonores de dimensions graduées. Elles sont suspendues et rendent, quand on les frappe, un son ayant de l’analogie avec celui de l’harmonica, mais plus fort et plus nourri, surtout dans les notes basses.

3. Cette chanson fut composée à l’époque des trois royaumes, c’est-à-dire au IIIe siècle de notre ère, par un frère du roi de Oey. Elle est tout en l’honneur de la maxime célèbre fruere presenti. Le nom sous lequel on la désigne dans le texte chinois ne pouvant mettre sur la voie des idées qu’elle éveille, j'ai cru devoir le modifier pour l’intelligence du sens général.

4. Le texte dit littéralement : visiter Pong et Yng. Pong et Yng étaient les noms de deux îles situées au milieu du lac de la résidence impériale, noms qu’on leur avait donnés comme étant ceux de deux montagnes célèbres pour leurs sites pittoresques et leur belle végétation.

5. On s'étonnera peut-être, au premier abord, de ces trois mille jeunes filles des appartements intérieurs. On aurait tort cependant de voir là une amplification poétique, et plusieurs empereurs chinois poussèrent ce faste bien plus loin. On lit par exemple dans le Sse-ki que le fondateur de la dynastie des Thsin ayant vaincu le roi de Ou, et s’étant emparé de son palais, y choisit cinq mille femmes qu’il envoya dans sa propre résidence de Tchang-ngan.

6. Littéralement : (l’empereur se dit) moi demeurant dans l’inaction, les hommes sont dans le repos --- ngo vou goeï, jin tseu ting ---, ces expressions se rattachent à la doctrine de Lao-tseu, qui place la vertu dans l’inaction et le bonheur dans le repos. L’empereur, demeurant dans l’inaction, ne fait naturellement aucune expédition lointaine, et le peuple jouit d’un repos qui est pour lui le bonheur. Il m’a semblé, pour rendre ici la pensée, devoir m’écarter un peu du sens littéral qui pouvait présenter de l’obscurité.

7. Au temps de Li-taï-pé, la mythologie des Tao-sse admettait déjà que trente-six empereurs avaient trouvé le secret de l’immortalité.

8. Le texte dit : il ne quitte point Kao-king. Kao-king était l’ancien nom de Lo-yang, comme Lutèce le fut de Paris, et Byzance de Constantinople. En désignant ainsi, par un ancien nom, la capitale de l’Empire, le poète prépare l’allusion qui va suivre. De plus, dans les idées chinoises, qui prennent toujours l’Antiquité comme type de toute perfection, cette dénomination entraîne tacitement avec elle une nuance louangeuse que je crois pouvoir rendre en ajoutant le mot heureuse dans la traduction.

9. Hoang-ti est le premier souverain de la Chine dont le règne appartienne aux temps historiques. On trouve dans le Sse-ki (Annales de l’Empire) la légende de cet empereur qui cherchait la pierre philosophale deux mille six cents ans avant l’ère chrétienne, non comme une source inépuisable de richesses, mais comme un talisman pour obtenir l’immortalité. « Hoang-ti, dit la chronique chinoise, avait fait fondre sur le mont Kin-chan neuf trépieds de bronze, où il soumettait à l’action du feu quantité de sable rouge ; un jour ce sable rouge se convertit en or. Alors un dragon descendit du ciel, et l’empereur étant monté sur son dos avec les principaux officiers et plusieurs de ses favorites, le dragon reprit son essor vers les demeures célestes. »

Un commentateur ajoute : « Parmi les choses que l’on brûle comme offrande aux esprits, il faut compter en premier lieu le sable rouge (tan cha ; le cinabre, suivant les dictionnaires de de Guignes, de Medhurst et de Morrison). Il peut arriver que ce sable rouge se transforme en or très pur. En ce cas, avec cet or très pur, si l’on fabrique un vase pour boire et que l’on s’en serve, on obtient d’abord la longévité. Quand on a obtenu la longévité, on peut voir les immortels ; et quand on a vu des immortels, en sacrifiant à l’esprit de la terre, on obtient soi-même l’immortalité. Ce fut là précisément ce qui advint à Hoang-ti. »

Dans une autre pièce, intitulée le Vol du dragon, Li-taï-pé a décrit lui-même ce départ pour les demeures célestes du premier des empereurs immortels. Il raconte la transmutation du sable rouge en or, l’arrivée du dragon ; il peint la joie des femmes du palais « qui battent des mains en se voyant monter vers les nuages rouges, semblables à des fleurs que le vent emporte ». La légende parle aussi du désespoir des humbles serviteurs (siao tchîn, mot à mot : les petits officiers), qui ne peuvent accompagner leur souverain.

En employant pour se désigner lui-même, dans le vers suivant : Moi, votre humble sujet, etc., la même expression siao tchîn, dont se sert la légende, le poète termine ici par un trait d’autant plus délicat aux yeux de ses compatriotes que la flatterie de ce dernier rapprochement doit ressortir d’elle-même, dans l’esprit de tout lettré possédant bien ses auteurs.

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